La « Liner Negligence Clause »

Clause abusive à l’usage des assurés… ?

 

Titrer ainsi son article pourra sans doute paraître osé. Pourtant, l’extension de couverture accordée par cette clause aux assurés est telle que les polices auxquelles cette clause est attachée les transforme en une assurance du « laissez aller », de l’usure normale, du vice caché : En un mot : Une dérive de l’assurance.

 

L’étude qui suit tentera de démontrer que cette clause, souvent souhaitée par les assurés, s’avère particulièrement redoutable pour les assureurs.

 

Elle mérite complètement (à notre avis) le terme de « clause abusive à l’usage des assurés ».

 

Il faut tout d’abord rappeler que cette clause n’est à priori destinée qu’aux imprimés anglais et américains.

 

Elle est donc attachée à des polices qui ne couvrent que les dommages consécutifs à des périls déterminés dans la police. Ce sont les périls de la Mer, limitativement énumérés dans l’imprimé et qui, comparativement aux imprimés dits « tous risques » font reposer la charge de la preuve sur l’assuré, celui-ci devant prouver que le dommage subi par le bien assuré résulte de l’un des périls énumérés dans la police.

 

L’imprimé américain est déjà allé plus loin en intégrant directement dans l’imprimé une clause de garantie additionnelle, dite « Inchmaree Clause ».

 

Elle n’est qu’optionnelle dans l’imprimé anglais.

 

Cette garantie « Inchmaree » dont le nom est tiré d’un cas réel ayant abouti à son introduction dans les polices[1] donne une couverture complémentaire, à savoir les conséquences de certains périls dénommés que sont :

 

- Accidents au chargement/ accostage/ mise en cale sèche

- Négligence de l’équipage/ des affréteurs/ réparateurs

- Conséquences de certains accidents de machine limitativement énumérés :

- Avarie de générateur

- Avarie de matériel électrique

- Explosion de chaudière

- Rupture de vilebrequin

- Conséquences de vices cachés atteignant la coque ou la machine

 

Il faut bien noter que ce sont uniquement les conséquences qui sont couvertes.

 

Il appartient toujours à l’assuré de prouver que le sinistre rentre dans l’un des cas couverts par la police

 

Cette extension est, on le voit, déjà conséquente par rapport à l’imprimé de base et on aurait sans doute pu en rester là, l’« Inchmaree Clause » faisant en quelque sorte se rapprocher les imprimés « tous risques » de ceux restant en « named perils » que sont les imprimés anglais et américains.

 

Malheureusement, la pratique est allée plus loin et l’imaginaire fécond des assureurs, poussés par les courtiers et les assurés, a mis au point une nouvelle clause, la « Liner Negligence Clause »[2].

 

Le texte de cette clause prévoit que :

 

« This insurance also specially cover, subject to the average warranty:

 

a)      Breakdown of motor generators or other electrical machinery and electrical connections thereto; bursting of boilers; breakage of shaft or any latent defect in the machinery or hull

b)      Loss of or damage to the subject matter insured directly caused by

1)      Accidents on shipboard or elsewhere, other than breakdown of or accidents to nuclear installations or reactors on board the insured vessel

2)      Negligence, error of judgement or incompetence of any person; excluding under both a) et b) only the cost of repairing, replacing or renewing any part condemned solely as a result of a latent defect, wear and tear, gradual deterioration or fault or error in design or construction

 

Provided such loss or damage (either described in said a or b or both) has not resulted from want of due diligence by the assured, the owner or manager of the vessel, or any of them.

Masters, mates, engineers, pilots or crew not to be considered as part owners within the meaning of this clause should they hold shares in the Vessel.

 

L’insertion de cette clause transforme purement et simplement la police en une police « tous risques ». L’assuré doit juste prouver que le navire a subi un dommage. Ce dommage est alors réputé couvert, à charge pour l’assureur de prouver éventuellement que le sinistre résulte d’un risque exclu par la police.

 

Ainsi, sont notamment couverts, les dommages causés aux générateurs ou autres appareils électriques qui y sont connectés, les éclatements de chaudières, les casses d’arbres ou tout vice caché dans la machine ou dans la coque.

 

Plus encore, sont couverts les pertes et dommages subis par le bien assuré et directement causés par tout accident à bord ou n’importe ou par la négligence, l’erreur de jugement ou l’incompétence de qui que ce soit.

 

Cette clause va indéniablement plus loin que nombre d’imprimés « tous risques » dans leur version « de base ».

 

Pour se prémunir des abus, la « Liner Negligence Clause ne prévoit que deux exclusions :

 

Sont ainsi exclus de la couverture les conséquences des accidents se produisant à bord ou n’importe ou, dus à d’éventuelles installations nucléaires à bord du navire….

 

Outre ce cas anecdotique, la « Liner Negligence Clause » précise également que, tant pour les dommages visés au point a (casse sur générateurs ou autres appareils électriques qui y sont connectés, les éclatements de chaudières, casses d’arbres ou tout vice caché dans la machine ou dans la coque) qu’au point b (conséquences de tout accident à bord ou n’importe ou, de la négligence, l’erreur de jugement ou l’incompétence de qui que ce soit), sont exclus de la couverture le remplacement des pièces rendues inutilisables exclusivement du fait d’un vice caché, de vétusté, de détérioration progressive ou d’erreur de construction et de design.

 

Ce paragraphe semble sauver la mise aux assureurs en excluant les pièces et les conséquences de dommages causés par le vice caché, la vétusté, l’usure normale, la détérioration progressive ou l’erreur de construction et de design.

 

Pourtant, une lecture « mot par mot » doit impérativement modérer un quelconque enthousiasme des assureurs.

 

En effet, le texte précise que sont uniquement exclues les réparations, le remplacement ou le renouvellement des pièces condamnées en raison exclusivement d’un vice caché, de la vétusté, de l’usure normale, de la détérioration progressive ou l’erreur de construction et de design.

 

Pour être exclue, il faut que la défectuosité ait été découverte lors d’une visite de routine et ne puisse être rattachée à aucun risque assuré.

 

Par visite de routine, il faut comprendre, visite programmée, entretien préconisé par le constructeur, visite de classe. En un mot, il faut que cette visite soit faite hors de toute constatation ou de présomption de dommage à bord du navire.

 

Si la défectuosité est découverte pendant que le navire est en exploitation, on doit alors considérer que l’assureur ne peut pas prouver que le dommage résulte exclusivement de l’un des risques exclus.

 

Il y a concomitance entre un « péril de la mer » et l’origine du dommage (usure normale, vice caché, détérioration graduelle, etc..).

 

L’assureur doit alors répondre des dommages survenus en opération, dès lors qu’il y a un « péril de la mer » mais quel qu’en soit l’origine….

 

On voit dès lors les abus possibles et réels que peut procurer une telle clause.

 

Il suffit en effet à un assuré, parfaitement conscient de l’état de son navire, (mais qui sera sans aucun doute à jour de ses visites de Classe, avec l’ensemble des documents de l’Etat du Pavillon à jour, les documents ISM fraîchement tamponnés) de prendre la mer, ne serait-ce que pour quelques heures, d’attendre le dommage (souvent irrémédiable) comme une casse d’arbre ou de moteur, une perte de gouvernail, puis de demander une assistance (remboursée par les assureurs), et de se faire payer ensuite l’ensemble des réparations, au seul motif que, bien que l’origine du dommage soit un vice caché ou une usure normale, celle-ci s’étant produite en mer, les assureurs doivent en répondre en application de la clause qu’ils ont accepté de souscrire….

 

Il y a là, à notre avis, un réel abus de confiance. Comme toujours, mise entre les mains d’un assuré diligent, la « Liner Negligence Clause » ne trouvera que rarement application.

 

Malheureusement, il faut bien reconnaître que beaucoup d’assurés sont tentés par faire de leurs assureurs les financiers de l’entretien des navires, les dommages se « révélant » quelques semaines avant les arrêts programmés, obligeant ainsi les assureurs à participer aux frais d’arrêt technique et au remboursement de coûts que les armateurs  auraient dû exposer seuls s’il n’y avait pas eu d’avaries « découvertes »  peu avant l’arrêt ou dont les réparations ont été reportées après accord de la Société de Classification.

 

Le second paragraphe de la clause ne peut malheureusement guère aider les assureurs malgré sa sévérité apparente. Il prévoit en effet que la couverture offerte par la « Liner Negligence Clause » ne vaut pour tout et autant que l’avarie n’ait pas résulté de :

 

« want of due diligence by the assured, the owner or manager of the vessel, or any of them.

Masters, mates, engineers, pilots or crew not to be considered as part owners within the meaning of this clause should they hold shares in the Vessel.

 

On le sait, ce type de preuve est plus que difficile à rapporter, voire impossible dans des relations d’affaires « normales », tant les tensions et les enjeux empêchant les assureurs de mener « à fond » leurs enquêtes.

 

Cette clause est donc à manier avec de grandes précautions. Il faut, en l’acceptant, avoir bien conscience des conséquences, des dommages et des coûts que l’on peut avoir à indemniser.

 

Le jeu peut parfois en valoir la chandelle, si l’assuré joue le jeu, et paye la prime correspondante à l’étendue de garantie qui lui est accordée via la « Liner Negligence Clause ».

 

Fortunes de Mer, septembre 2005


 


[1] La clause porte le nom du navire dont le cas, portée devant la Chambre des Lords, a abouti à une non-couverture d’un sinistre concernant une pompe à eau, ouverte au lieu d’être fermée, et qui causé des dommages au moteur. « Thames and Mersey Marine Insurance Co, Ltd, v Hamilton, Fraser & Co, (1887) VI, Asp, M.L.C., 200.

[2] Mise au point en 1932 à la demande des armateurs insatisfaits de la couverture de l’« Inchmaree Clause ». Voir Marine Insurance Claims, 1st Edition, by J.K Goodacre, 1974, Ed Witherby, p. 244.

 

 

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